Les projets lauréats du Grand Prix Images Vevey 2019/2020
Après trois jours de délibération le jury du Grand Prix Images Vevey présidé par l’artiste Indienne Dayanita Singh et composé d’Emma Bowkett (Directrice de la photographie, Financial Times FT Weekend Magazine, Londres), Lesley A. Martin (Directrice artistique, Fondation Aperture, New York), Christoph Wiesner (Directeur artistique, Paris Photo, Paris) et Francesco Zanot (Commissaire d’exposition indépendant, Milan) a attribué les prix suivants:
Grand Prix Images Vevey 2019/2020
Kristine Potter (Etats-Unis)
Dark Waters
Le jury commente sa décision comme suit (traduction de l’anglais) :
« Le jury a été particulièrement impressionné par Dark Waters, une réflexion de Kristine Potter sur la violence qui imprègne les paysages et la culture populaire du sud des États-Unis. Plus spécifiquement, les membres du jury ont estimé que l’approche gothique et littéraire adoptée par l’artiste pour aborder la tradition américaine des murder ballads méritait d’être soulignée pour la façon dont elle détourne un sujet photographique classique : le paysage américain. Ce travail révèle des histoires méconnues de morts et de violences à l’encontre des femmes. En effet, Kristine Potter relève les descriptions crues de femmes battues ou assassinées dont regorgent certaines chansons traditionnelles des Appalaches ou de blues. Elle localise également cette problématique en photographiant des lieux qui portent des noms tels que Murder Creek (« Le Ruisseau du meurtre »), Bloody River (« La Rivière sanglante) ou Rape Pond (« L’Étang du viol »). Pour son projet, Kristine Potter se propose d’allier vidéo et musique à des photographies en noir et blanc et en grand format, comprenant des paysages ainsi qu’une série de portraits mis en scène inspirés des femmes dont parlent les chansons. Le travail aborde la violence inhérente à ces lieux et ces paroles, ainsi que l’histoire de la photographie de paysage aux États-Unis, largement dominée par les hommes.
À l’unanimité, le jury se réjouit de voir se développer la pratique déjà bien établie de Kristine Potter ainsi que sa relecture de ces sombres mythologies. Bien que sa proposition se fonde sur une tradition et un territoire spécifiques, le jury a estimé que ses implications s’appliquaient de façon universelle aux messages messages violents et genrés qui émaillent, sans qu’on les remarque, la culture populaire contemporaine. »
Kristine Potter :
Basée à Nashville, Tennessee, Kristine Potter (1977) a étudié la photographie à l’Université de Géorgie et à l’Université Yale. Lauréate de la prestigieuse bourse Guggenheim en 2018, elle exposé dans de nombreuses galeries et des musées aux États-Unis et en Europe. Déposé dans des collections privées et publiques comme celles du Georgia Museum of Art, son travail a notamment été publié dans des revues tels que Contact Sheet, Paper Journal ou The British Journal of Photography.
Sa première monographie, « Manifest » a été publiée par TBWBooks en 2018.
Le Grand Prix Images Vevey est une bourse d’aide à la création photographique. Ce prix de CHF 40’000 (env. € 35’000) permet à un artiste de développer un projet inédit. La lauréate a maintenant une année pour réaliser ce projet qui sera présenté en avant-première dans le cadre du prochain Festival Images Vevey du 5 au 27 septembre 2020.
Les commentaires du jury en vidéo:
Grand Prix Images Vevey 2019/2020 par le Festival Images sur Vimeo.
Prix du Livre Images Vevey 2019/2020
Gloria Oyarzabal (Espagne)
Woman No Go’ Gree
Le jury commente sa décision comme suit (traduction de l’Anglais)
« La proposition de livre de Gloria Oyarzabal comprend une combinaison captivante de ses propres images, une sélection de documents d’archives, ainsi qu’un long essai fondé sur ses recherches. Le projet s’attaque au défi d’appliquer des notions soi-disant universelles du féminisme occidental à des cultures dont les traditions sont fondamentalement différentes. Le jury a reconnu à l’unanimité que cette exploration du féminisme et des a priori raciaux et culturels était particulièrement pertinente à notre époque. Le titre du projet, Woman No Go’Gree, est tiré d’une chanson de Fela Kuti, alors que le concept s’inspire, lui, de l’essai du sociologue nigérian Oyèrónké Oyèwùmi intitulé « The Invention of Women: Making an African Sense of Western Gender Discourses » (« L’invention des femmes : perspectives africaines sur les discours de genre en Occident »). L’artiste d’origine espagnole a trouvé un certain nombre d’idées dans cet essai daté de 1997, qui sont fondamentales pour ce projet de phototexte, à savoir que le détournement des notions de genre proposées par les religions monothéistes à l’époque victorienne en Europe a fini par étouffer les racines d’un véritable féminisme en Afrique. Le jury a été enthousiasmé par ce projet de livre qui propose une approche postcoloniale du genre et de la race, d’autant plus que l’auteure semble plus encline à poser des questions qu’à imposer des réponses. ».
Gloria Oyarzabal :
Gloria Oyarzabal (1971) s’est formée aux beaux-arts à la Universidad Complutense de Madrid, où elle vit et travaille actuellement. Après avoir vécu plusieurs années au Mali, l’artiste espagnole développe depuis une recherche sur la construction de l’idée de l’Afrique, les processus de colonisation et de décolonisation, avec un intérêt tout particulier pour les féminismes africains. Son travail a été exposé dans de nombreux festivals de photographie comme au FORMAT de Derby (GB), au Fotofestiwal de Lodz (PL), au LagosPhoto (NG) et aux Encontros da Imagem de Braga (PT).
Les commentaires du jury en vidéo:
Images Vevey Book Award 2019/2020 par le Festival Images sur Viméo.
Prix Spécial du jury
Lei Lei (Chine)
Weekend
Né en 1985 à Nanchang (Chine) et basé à Los Angeles et Pékin.
« Le jury a décerné, à l’unanimité, son Prix Spécial du jury à l’artiste chinois Lei Lei pour son projet de vidéo et de collage, Weekend. Installé à Los Angeles, Lei Lei possède une importante collection d’images provenant de magasins de seconde main et de magazines vintage, tels que le China Pictorial. Il isole, sélectionne et assemble ensuite des éléments de ce matériau, abordant de cette manière la différence entre une œuvre d’art et une archive, les souvenirs et les rêves. Il anime ensuite ses collages et compose une bande-son pour chacun d’entre eux, créant une histoire personnelle et hybride. Comme l’a fait remarquer le philosophe et critique d’art Boris Groys : « Life can be recorded, but it can’t be shown. ». Le jury a été enchanté et séduit par la tentative de Lei Lei de réinventer un langage visuel qui allie approches analogiques et numériques pour justement tenter de « montrer » la vie. »
Mention Lumière Broncolor
Benoît Jeannet (Suisse/Espagne)
Escape from Paradise
Né en 1991 à Neuchâtel (Suisse), où il vit et travaille actuellement.
Commentaire du jury : « Le jury est heureux de décerner à l’unanimité la Mention Lumière Broncolor à Benoît Jeannet. Son projet, Escape from Paradise, présente une étude de l’iconographie et des mythes hawaïens. Dans le studio du photographe, l’île devient un laboratoire d’observation, un microcosme de l’histoire du XXe siècle : les plantations de la Dole Food Company, l’histoire de la chemise hawaïenne, la convention de 1944 à Chicago, l’invention de la bombe atomique et l’avènement d’internet ont, entre autres, façonné notre perception mentale de l’île de Hawaï. Ces éléments d’imagerie populaire fonctionnent alors comme des sortes d’objets de propagande édulcorés. Le jury a apprécié le travail en studio de Benoît Jeannet et sa façon d’aborder les éléments iconographiques, les transformant en objets photographiques sculpturaux. La série assemble des artefacts contemporains dans le but de créer une installation, comme une sorte d’archéologie visuelle du futur. »
Mention Reportage Heidi.news
Jack Latham (Royaume-Uni)
Beggar’s Honey
Né en 1989 à Cardiff et actuellement basé à Bristol.
Commentaire du jury : « À l’unanimité, le jury a tenu à distinguer Jack Latham pour sa contribution novatrice à la pratique documentaire contemporaine. Cette Mention Reportage Heidi.news permettra de lancer le nouveau projet de ce photographe, dont la pratique se fonde sur une recherche méthodique. Jack Latham a déjà montré son habileté à révéler les structures et les systèmes sous-jacents qui régissent nos vies dans ses projets précédents, Sugar Paper Theories et Parliament of Owls. Cette nouvelle proposition, Beggar’s Honey, s’intéresse au phénomène des Click Factories (« usines à clics ») qui se multiplient en Europe de l’Est et en Asie dans des entrepôts tenus secrets et dans lesquels des milliers de téléphones sont programmés pour influencer l’opinion publique en produisant en masse des likes et des commentaires, participant de façon insidieuse et indéniable à la crise des fake news. »